Amour familial, de quel mensonge es-tu le berceau ?

Je profite de cet période de l’avent pour poursuivre mon cycle sur la famille. Au programme amour, douceur et entraide ? Non. Plutôt domination, ordre et inégalité. Un avant goût des repas familiaux de fin d’année. Attention à la crise de foi 😉 .

L’amour familial, comme une évidence.

Dans un précédent article, je parlais de cette phrase : « c’est la famille » qui semble justifier bien des compromissions. La famille est le lieu premier et central de la socialisation, de l’apprentissage des relations aux autres, de sa place par rapport aux autres et de ce qui fait loi. Tout cela au nom de l’amour.

L’enfant est en quête d’amour, de ré-assurance, de tendresse. Il aime ses parents sans condition jusqu’à un âge parfois avancé. C’est peut-être le seul amour inconditionnel (car l’amour, contrairement à ce que l’on voudrait croire, n’est jamais complètement inconditionnel). Et parce qu’il aime les adultes qui s’occupent de lui et qu’il en est dépendant l’enfant ne remet pas en question la perfection de ces derniers, ni leur amour présumé.

C’est ainsi qu’un enfant ne trahit pas ses proches, il ne dénonce que très peu les mauvais comportements dont il est victime et qui sont en général commis au nom de l’amour. Car on le sait, qui aime bien châtie bien et autre « c’est pour ton bien », célèbre maxime reprise par Alice Miller pour titre de son livre(1) sur la pédagogie noire. L’enfant pense que c’est lui qui est mauvais, pas ses parents.

La famille, berceau des dominations.

La famille est la plus petite unité sociale et politique. C’est la cellule de base de l’ordre. Ce n’est pas pour rien que la famille arrivait en bonne position de la devise(2) de l’Etat français sous Vichy : la famille tient les individus et les formate.

C’est dans la famille que les rôles (par exemple les rôles genrés) sont distribués et que sont mis en acte précocement les jeux de pouvoir et de domination. On y apprend à chacun à tenir sa place et à se soumettre à l’autorité.

Dans son livre Le berceau des dominations : une anthropologie de l’inceste, Dorothée Dussy, étudie des cas d’incesteurs alors sous les verrous et explicite assez clairement que l’inceste fait parti des outils, banal au combien, pour perpétuer la domination de certains sur d’autres. Les incesteurs sont largement épargnés non seulement par les instances policières et judiciaires mais aussi par leur famille. L’ordre social ne doit pas être troublé, les plus faibles doivent rester sous la coupe des puissants et les vaches seront bien gardées.

Ce livre a d’ailleurs eu un destin édifiant. Publié en 2013, il va être accueilli par un silence assourdissant. L’autrice va alors renoncer aux deux autres volets de ce qui devait être un triptyque sur l’anthropologie de l’inceste. L’inceste et son mécanisme puissant de domination n’intéresse personne. Il aura fallut attendre l’époque meetoo pour que cet écrit fort instructif soit re-découvert et ré-édité, lui offrant un succès bien mérité mais tardif.

La famille, berceau des inégalités.

Il existe de nombreux systèmes familiaux qui, selon Emmanuel Todd, déterminent les idéologies d’une société, son système politique ou religieux. Il en va ainsi des règles d’héritage qui influencent l’égalité ou la non égalité assumée dans la société.

En France, le système est normalement égalitaire dans la fratrie, ce qui nous vaut que l’égalité soit en bonne place de la devise de l’Etat français(3). Aucun enfant ne peut être avantagé par rapport à un autre au moment de l’héritage. C’est du moins légalement le cas.

Pourtant, les sociologues Sibylle Gollac et Céline Bessière ont étudié de curieux phénomènes très inégalitaires dans Le genre du capital(4). La famille est abordée comme une institution économique à part entière. Les autrices décortiquent comment la richesse circule, engendrant des inégalités aussi bien entre les familles qu’en leur sein, entre les hommes et les femmes. Au moment des héritages, les femmes sont en fait dépossédées.

Bien entendu, tout cela est enrobé d’amour et d’arrangements tendres.

Mais le résultat est que la domination et l’appropriation des ressources est toujours du même côté. Si la lecture du livre vous rebute, un excellent interview de Sybille Gollac, intitulé La famille : berceau des inégalités ? est à voir.

L’amour, forme ultime de la domination ?

L’interview de Sybille Gollac se termine sur cette question fort dérangeante : L’amour ne serait-il pas la forme ultime de la domination ?

La famille n’est pas le lieu idéalisé de l’amour et de la concorde. C’est parfois même, trop souvent, le lieu de tous les dangers, de tous les abus, de l’apprentissage de la domination et des inégalités. Et pourtant, toutes ces misères sont faites ou supportées au nom de l’amour, et même de l’amour suprême, celui sensé être le plus pur.

Il n’est pas rare du tout, lorsque je demande à une personne ce qui l’incite a continuer à subir un conjoint (ou conjointe) menteur, manipulateur, abusif, voire violent que j’entende cette phrase désarmante : « ben, je l’aime ». De quel amour s’agit-il ? Pas de l’amour qui fait grandir, mais de cet amour qu’on nous impose comme une obligation, un devoir, depuis la plus tendre enfance. Cet amour qui enchaîne au lieu de libérer.


  1. Alice Miller. C’est pour ton bien : racines de la violence dans l’éducation de l’enfant. Flammarion (Champs. Essais). 2015.
  2. Devise qui était : Travail, Famille, Patrie.
  3. Liberté, Egalité, Fraternité.
  4. Sybille Gollac et Céline Bessière. Le genre du capital : comment la famille reproduit les inégalités. La découverte. 2020.

Vous avez envie d’y voir plus clair dans vos relations familiales ? Vous désirez vous libérer des liens familiaux qui vous enchaînent ?

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