La famille en goguette : faire ou pas noël en famille.
« C’est la famille »
Ces quatre mots, « c’est la famille », sonnent comme une évidence, une maxime, un mantra. Combien de fois les ai-je entendus en séance !
Et à chaque fois je ressens le même saisissement un peu glaçant. Quatre mots qui scellent les silences étouffants, les renoncements trop nombreux, les pressions plus ou moins insistantes, souvent les secrets douloureux et inavouables, parfois — trop souvent — les violences inouïes.
Je ne laisse jamais quelqu’un dire ces quatre mots sans lui demander ce qu’il ou elle entend par là. Qu’est-ce que cela sous entend ce : « c’est la famille ». Quels renoncements, quelles obligations, quelles croyances et émotions derrière ces quatre petits mots ?
Noël en famille
La fin de l’année pointe le bout de sa boîte de chocolats et de ses rassemblements familiaux plus ou moins bien vécus. Souvent mal par les personnes qui consultent un psy.
Il faut souvent des années pour se résoudre à faire l’impasse sur ces fameuses dates vécues comme « obligatoires ». Des années avant de choisir les personnes avec qui on désire vraiment passer du temps ou de préférer prendre un billet de train ou d’avion pour quelques jours au soleil en plein mois de décembre. Parfois, c’est aussi juste profiter du calme des derniers jours de l’année, quand on ne court pas après les cadeaux dans les magasins et que l’on profite des jours fériés pour buller sous un plaid, ou courir dans le froid et les rues désertes, selon son tempérament. Ou les deux, puisque le temps est enfin à nous !
Pourquoi est-ce si difficile de prendre sa liberté à bras le corps ? De refuser les invitations parfois assorties de pressions culpabilisantes et, enfin, d’ écouter ses envies ? C’est parfois par peur de blesser papa ou grand-mère (je vous renvoie à l’article sur cette crainte spécifique), mais ce n’est évidemment pas que cela.
La famille : les branches et les racines
Une identité
Quelqu’un m’a dit un jour : « c’est les personnes qui me connaissent depuis toujours ». La famille représente la continuité de soi à travers le temps. C’est pourquoi il était si difficile d’imaginer leur dire non. D’aller les voir seulement quand elle en aurait envie. De ne pas répondre présente aux sollicitations culpabilisantes diverses et variés.
Le sentiment d’identité, d’être soi à travers le temps, est à la fois fragile, illusoire et indispensable.
Si on y réfléchi il est assez étrange de considérer que le bébé qu’on a été est la même personne que celle qu’on est 50 ans plus tard. Qu’ont en commun ce marmot de trois mois et nous aujourd’hui ? Une histoire qu’on se raconte, une biographie, une succession d’évènements et… une famille. C’est les personnes qui nous connaissent depuis toujours, les témoins de la continuité de notre être.
Dans chaque famille, on trace l’identité et le rôle de chacun. Un tel est le héros de la famille à travers les générations, tel autre le mouton noir. Et chacun sait bien qui il est grâce aux sentences familiales. « Dès ta naissance j’ai su que tu serais quelqu’un de bien ». C’est l’hypothèse optimiste, car assez régulièrement c’est plutôt : « tu as toujours été un pleurnichard », une mijaurée, quelqu’un de compliqué, etc. Mention spéciale à cette maman qui déclarait régulièrement à sa fille née un 24 décembre : « et pourtant, t’étais pas un cadeau »! Même lorsque les qualificatifs ne sont pas positifs, on y tient, on revient les entendre à intervalles réguliers. Car mieux vaut une identité merdique que pas d’identité.
Un sentiment d’appartenance
La famille sont nos racines, l’origine du sentiment de nous-même, du sentiment d’identité et nous en sommes une branche. Une branche ne peut pas vivre sans son arbre. Le sentiment d’appartenance, besoin très fort chez l’humain (cf. Abraham Maslow), est comblé par la famille. Le sentiment d’appartenance est en lien avec le sentiment d’amour. J’appartient parce qu’on m’accepte et donc qu’on m’aime, croit-on. Quelque soit la famille et le rôle qu’on y trouve, on fait partie d’un tout. On appartient à un groupe qui peut nous aider, nous défendre. C’est rassurant et c’est valorisant. Même quand les faits nous démontrent l’inverse.
Etre le fruit et le miel : désidentification et individuation
Mais est-on condamné à rester attaché à son arbre comme une moule à son rocher ?
Deux mouvements primordiaux sont au cœur de la thérapie en psychosynthèse et visent à l’autonomie de la personne.
La désidentification
Roberto Assagioli la qualifie ainsi : « nous sommes dominés par tout ce à quoi nous nous sommes identifiés. Nous pouvons dominer et contrôler tout ce dont nous nous désidentifions. » (Psychosynthesis, p.22).
Le sentiment d’identité est… un sentiment, une construction. L’identification à un groupe, une croyance, une activité, un statut nous donne l’impression d’une consistance mais nous enferme. Je suis français ou Je suis mère de famille ou Je suis ingénieur. Voilà qui nous donne une place, un rôle et des prérogatives. Mais cette identification nous empêche de vivre d’autre pans de notre personnalité.
Et si j’étais le fruit de l’arbre familial plutôt que la branche ? Capable de s’en détacher et d’aller vivre ma vie dans un autre humus ? Mieux, si je faisais du miel avec les fleurs de cet arbre, du miel à ma façon ?
L’individuation
L’individuation est un concept développé tout d’abord par Carl Gustav Jung. C’est la capacité à se distinguer en tant qu’individu spécifique, à prendre ses distances par rapport à un groupe pour développer sa propre façon d’être au monde. Même si le chemin de l’individuation est pavé de pavés inégaux, il vaut la peine d’être emprunté (voir : Etre soi, est-ce une si bonne idée)
Or, la famille, comme tout groupe humain, invite plutôt à se conformer aux règles communes, sans remise en question. Plus une famille est dysfonctionnelle (et donc toxique pour la personne) et plus elle sera rigide, incapable d’accepter en son sein les divergences d’opinion et de manières de vivre.
On peut même mesurer le dysfonctionnement de la structure familiale au degré de cet empêchement à être.
Alors, cette année, que ferez-vous pour le réveillon ? Et avec qui ? Avec plaisir ou tristesse et colère ? Vous avez envie d’en parler ?
Ajouter un commentaire