Être soi, est-ce une si bonne idée ?
Il parait qu’Oscar Wilde a écrit « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris ». Beau programme, que l’écrivain a payé cher. Condamné aux travaux forcés, ruiné, exilé à Paris où il meurt prématurément à l’âge de quarante-six ans, il évite la fosse commune des indigents de peu. Ni vous, ni moi, ne sommes Oscar Wilde, mais s’il y a un prix à payer pour être soi, êtes-vous prêt.e à le payer ?
Être un autre, pourquoi ?
Ce qui a valut à Oscar Wilde d’être condamné à deux ans de travaux forcés puis à s’exiler, c’est son homosexualité. Et peut-être aussi son désir d’en découdre : il préférât l’affrontement à la prudence en portant plainte en diffamation contre Lord Roseberry qui l’avait traité de sodomite (1).
Être lui sans concession conduira Wilde à la ruine, à la déchéance, au rejet et à la solitude. Et c’est justement ce que cherche à éviter toute personne qui s’applique à être quelqu’un d’autre que lui-même.
Tout enfant cherche à être aimé, à ce que ses parents s’occupent de lui, à être apprécié par son entourage. Il en va même de sa vie : un enfant dont on ne s’occupe pas, que l’on n’aime pas, qui n’est pas accepté par le groupe peut tout simplement mourir. De façon tout à fait instinctive il comprend ce qui peut lui valoir l’attention et l’amour, ce qui peut faire l’affaire en lui et ce qu’il convient de soigneusement cacher pour éviter l’humiliation et le rejet. Plus l’environnement familial, scolaire ou culturel est rigide et peu accueillant et plus la part à garder à l’ombre est importante. Dans certain cas, cela conduit l’enfant à construire une personnalité de façade derrière laquelle survit très petitement la vraie personnalité. Donald Woods Winnicoot(2) a théorisé ce mécanisme de faux-self et vrai-self.
Adulte, on ne risque plus de mourir si papa ou maman réprouve nos choix professionnels ou vestimentaires, notre orientation sexuelle ou notre interprétation personnelle du genre. Mais la peur de se dévoiler, l’impression de ne rien valoir, le sentiment de honte, peuvent être profondément ancrés et nécessiter l’aide d’un.e thérapeute.
Quand être soi, c’est être cuistre (autrement dit, un sale c**)
Oscar Wilde a agit contre toute prudence et contre l’avis de ses amis. Il voulait être le dandy magnifique et provocateur. Il s’est d’ailleurs apparemment beaucoup amusé au début de son affaire judiciaire, maniant les mots avec beaucoup de talent, mettant les rieurs de son coté.
C’est surtout Wilde lui-même qui a payé le prix de son obstination et de son goût du spectacle. Mais nous connaissons tous de ces infatigables amoureux d’eux-mêmes, de leur caractère « à prendre ou à laisser ». Ils parlent de sincérité pour vous asséner vos « quatre vérités » et vous inciter à mieux correspondre à l’idée qu’il se font des choses ; n’hésitent pas à blesser inutilement, voire à tromper l’autre, sous prétexte d’être fidèle à eux-mêmes.
Ces professionnels d' »être soi » sans concession sont d’affreux cuistres. Ils confondent la capacité à être soi avec le droit de faire et dire tout ce qui leur passe par la tête.
Être soi, c’est entre autre rencontrer la part sombre de soi, c’est entrer en contact avec des désirs et pulsions désordonnés et pas toujours avouables, mais c’est aussi apprendre à utiliser cette matière pour se construire, pour évoluer. Ce n’est pas balancer tout son caca sur les passants qui n’ont rien demandé.
Être soi, seulement soi, désespérément soi (ou les mensonges du développement personnel)
Dans Mars, Fritz Zorn analyse les conséquences à l’âge adulte de cette personnalité de façade : la méconnaissance de soi, le vide intérieur, l’angoisse, la dépression et finalement le cancer fatal. On est bien loin de Wilde et de sa superbe !
Mais donc, ne pas être soi, vivre derrière un faux self, ce n’est pas bon pour la santé. Ce n’est pas une situation enviable.
Mais être soi ce n’est pas aller à la rencontre d’une personne complètement différente de nous-même. Ce n’est pas « devenir la merveilleuse personne qui est en toi » ni devenir un être exceptionnel, entre bouddha et super-héros. Tu ne trouvera pas non plus un monstre dégueulasse tout au fond de toi, tu peux te tranquilliser. Tu rencontrera un humain, avec ses forces et ses faiblesses, et qui a besoin d’attention et de tendresse.
Bien sur que tu es unique et que ça vaut le coup d’explorer cette unicité. Mais comme tout le monde ! Cela n’a rien d’exceptionnel d’être unique. C’est fort commun. Et même si prendre conscience de la multiplicité des êtres, de leur singularité unique (et donc aussi de la sienne propre), est source d’émerveillement, cela ne fait pas de nous des êtres d’exception supérieurs au commun des mortels.
Il est peut-être encore temps de récupérer tes arrhes pour le stage ski et chamanisme « glisse vers ton être sacré dans les pas de ton animal totem » dans un décor de rêve avec spa en option.
Il est tentant de rester dans l’illusion de la personne magnifique qu’on imagine être quelque part, au fond de soi, plutôt que de se confronter vraiment à soi, cet être vrai (ou en tout cas de plus en plus vrai en y travaillant) mais forcément limité et très certainement éloigné d’un idéal fantasmé. J’ai régulièrement rencontré des personnes qui étaient persuadées que si elles n’avaient pas vécu tel traumatisme ou bien si elle n’avaient pas ce cruel manque de confiance en elle, elle déchireraient tout : réussite professionnelle, amoureuse, artistique ou sportive, tout leur serait alors possible car elle serait enfin elle-même. Ce n’est qu’un fantasme qui éloigne encore la personne de son potentiel en la maintenant dans l’impuissance et l’illusion.
Être soi : the ultimate tip
Oscar Wilde avait certainement les ressources psychiques pour aller contre les institutions de son époque, pour s’affirmer en dépit des critiques, des jugements, des risques. Mais tout le monde n’en est pas capable, n’a pas reçu les outils nécessaires. Un grand nombre de personnes n’ont pas le mode d’emploi et ne savent même pas qu’elles peuvent vivre autrement que derrière le masque. Un travail thérapeutique est alors nécessaire pour enfin entrer dans le processus d’individuation(3).
(1) Lord Rosberry avait pris la mouche en apprenant que son fils avait une liaison avec l’écrivain. Ce procès, lancé par Wilde, se retournera contre lui. Plus de détails sur cette affaire ici.
(2) Pédiatre et psychanalyste britannique (1896-1971)
(3) Individuation, selon Carl Gustav Jung : « la prise de conscience qu’on est distinct et différent des autres, et l’idée qu’on est soi-même une personne entière, indivisible »
Alors, prêt.e à partir à la rencontre de qui vous êtes ? Décidé.e à devenir seulement vous-même ? Besoin d’être accompagné.e dans cette direction avec enthousiasme et confiance ?
Ajouter un commentaire