« I would prefer not to » ou l’art de la procrastination – épisode 2.
Nous poursuivons notre voyage en procrastination sur les pas de Bartleby (1), procrastinateur assumé. Si la procrastination peut être vue comme une stratégie de lutte contre un oppresseur (voir le premier opus de cette série) ou contre un vécu inepte, qu’en est-il de la procrastination contre ses propres volontés, contre ses propres décisions ? Qu’en est-il de vos bonnes résolutions, toujours remises à plus tard ? Nous allons cette fois-ci nous intéresser à l’employeur de Bartleby. Car figurez-vous que ce notaire bien sous tous rapports joue un rôle de premier plan dans cette triste affaire.
Nous avons tous un notaire tatillon en nous !
Bartleby est employé aux écritures chez un notaire dont la première des qualité est la prudence et la deuxième la méthode. C’est lui qui distribue les tâches, les ordres et les salaires, s’attendant à ce que ses employés obtempères et s’appliquent à leur mission grise et répétitive.
Nous avons tous, en nous, un notaire et un Bartleby. Un supérieur tatillon et un type qui se défile. Et quand je dis notaire, celui-ci peut assez rapidement passer de juriste à juge impitoyable.
Freud aurait parlé de sur-moi. C’est, pour imager, une sorte de personnage intérieur qui prend la voix de maman quand elle vous demandait de ranger votre chambre, vêtu du pantalon de l’instit de CE2 qui vous privait de récré pour réviser les tables de multiplication.
Le notaire et l’enfant rebelle.
Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne, c’est que vous n’êtes plus un enfant et que, sur le papier, vous pouvez foutre le bordel dans votre chambre ou sortir votre calculette.
La mauvaise, c’est que vous ne le savez pas. Le notaire est une partie de vous. Souvent dans votre tête ou légèrement derrière vous (vous pouvez vous amuser à le situer), il vous ordonne de faire tout bien comme il faut et vous traite de souillon et d’incapable. Il est introjecté. Maman et l’instit vous manipule en sous-marin.
Résultat : le Bartleby en vous continue à jouer à l’enfant rebelle. Il fait le sourd. Ou observe les fourmis au pied du banc des punis. Plutôt que de remplir votre déclaration d’impôts, de passer ce coup de fil important (dans les cas de procrastination sévère même un appel non important en fait les frais), ou d’écrire votre article. Un peu comme si, des années plus tard, vous disiez fuck à maman ou à l’instit pour gagner un peu de liberté dans un monde d’oppresseurs.
Vous passez ainsi votre vie à dire I would prefer not to à… vous-même.
Être le metteur en scène plutôt que le théâtre.
Vous êtes le théâtre d’un conflit intérieur. Le notaire et Bartleby se livre une guerre feutrée mais ferme à l’intérieur de vous. Et vous allez payé des pénalités, passer pour un être ingrat et défaillant.
Et si vous deveniez plutôt le metteur en scène ? Si, en vous installant dans la salle, vous observiez ces deux là en train de re-jouer l’éternelle scène de l’oppresseur et du soumis en pleine résistance passive ?
Alors, que décideriez-vous ? Comment dirigeriez-vous la scène ?
Plein feu au théâtre !
- Repérez un sujet de procrastination, un truc que vous ne faite pas, que vous évitez soigneusement : payer une facture, acheter le cadeau d’anniversaire de Paula, faire ce cv, etc.
- Fermez les yeux, confortablement installé.e, pensez à cette chose que vous ne faîtes pas.
- Repérez les deux parties en présence, le notaire (l’oppresseur) et Bartleby (le soumis qui se débrouille pour ne pas faire). Quand vous les avez bien en vue (ou dans l’oreille)…
- Ecrivez leur dialogue, faite le leur jouer (dans votre tête, avec des didascalies comme une vraie pièce de théâtre, avec des playmobils, peut importe).
- Qu’avez-vous découvert sur eux ? Et sur votre metteur en scène ?
- Vous pouvez retourner à votre procrastination. A moins que vous décidiez d’aller faire un tour ou encore de faire ce truc que vous remettez toujours à plus tard.
Comme bon vous semble !
Envie de creuser vos capacités à entendre vos personnages intérieurs et à les mettre en scène ?
(1) Personnage éponyme de la nouvelle de Herman Melville. Première parution en 1853.
Bientôt l'épisode 3 de notre série sur la procrastination : trauma et procrastination, ou comment se fait-il que ce sont les personnes qui ont le plus besoin de thérapie qui sèchent leurs séances. (en tout cas, c'est le programme, nous verrons ce que cela donne une fois écrit).
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